La Cage aux Folles
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D’un personnage d’antiquaire très maniéré à la flamboyante drag queen de St-Tropez, la création de Jean Poiret a donné naissance à Zaza Napoli, et à d’autres personnages gays inoubliables comme Georges, et aussi Jacob, ou encore un hétéro comme Mercedes.
Les deux acteurs Michel Serrault et Jean Poiret se rencontrent pour un feuilleton radiophonique créé par Pierre Dac et Francis Blanche en 1951. Jean Poiret va devenir un auteur de cette même veine comique : il va écrire et jouer plusieurs pièces avec son désormais grand ami et complice Michel Serrault, dont la Cage aux Folles en 1973. Les deux personnages principaux de la comédie, Albin et Georges, sont directement dérivés des antiquaires, un de leur plus célèbres sketches, immortalisé par l’émission de télévision la Clef des Champs en 1959.
Pour Jean Poiret, le déclic vient d’avoir vu « l’Escalier », une pièce anglaise adaptée à Paris en 1967, dans laquelle un couple d’hommes vit un drame conjugal sur fond de salon de coiffure. Poiret choisit la voix de la comédie.
Pour résumer l’enjeu de la pièce, Georges et Albin tiennent un cabaret à Saint-Tropez, dans lequel Albin se produit sur scène pour devenir une quasi meneuse de revue travestie : Zaza Napoli. Georges accueille en cachette son fils Laurent, fruit d’une très brève rencontre avec une femme 23 ans plus tôt. Laurent doit pouvoir présenter ses parents à ses futurs beaux-parents, pour espérer se marier, avec la fille d’un élu très à droite. Laurent demande à son père de faire disparaître toute trace d’homosexualité pour cette rencontre, y compris la présence d’Albin.
Vous voyez le drame arriver.
La pièce met en scène, grâce à Pierre Mondy, des personnages devenus historiques.
Inspiré de Michou le prince bleu de Montmartre [1], Georges est le patron de la Cage aux Folles. Il ne se produit pas sur scène, il en est propriétaire et directeur artistique. Il dirige Zaza et les autres travestis sur scène, ainsi que Jacob, son employé de maison. Georges doit aussi gérer les problèmes de son fils, son ex, et son comptable. Par amour pour son fils Laurent, il va tout essayer pour faciliter son mariage avec la jolie Muriel.
Laurent est le fils biologique de Georges, il a été élevé par son père et Albin. C’est un beau jeune homme hétérosexuel, bien dans sa tête et dans son corps. Un enfant comme les autres, élevé par un couple homoparental. 40 ans avant la Manif pour Tous. La peur de Laurent se justifie, et ne pas toujours assumer ses parents aux yeux des autres, semble être son seul défaut.
Nous avons aussi Jacob, qui est l’employé de maison, immigré de Belgique. Son accent américain, sa peau noire, son impossibilité de porter des chaussures, son rêve de jouer lui aussi sur scène, sont autant d’éléments qui sont utilisés pour se moquer de lui. Il est dirigé sévèrement par Georges, qui cherche probablement à lui faire payer son ancienne relation avec Albin. La relation Jacob-Georges apparaît comme une imitation de la bourgeoisie post-coloniale envers son personnel.
Et puis Mercedes, qui est incarnée par Maurice Bray, est une amie de Georges. C’est un fonctionnaire de la mairie, hétéro mariée et père de 6 enfants, qui vient jouer le soir au cabaret avant Zaza. Mercedes est jalouse de Zaza, et en a marre de devoir toujours la remplacer à chacun de ses caprices. Le personnage de Mercedes rappelle que la performance scénique du travestissement, du drag, n’a rien à voir, avec l’identité romantique ou sexuelle.
Le cœur battent de la pièce est véritablement Albin Mougeotte, qui est le personnage incarnant totalement la Cage aux Folles, par la puissance évocatrice qui lui a insufflé Michel Serrault. Serrault a crée Albin, Albin a créé Zaza. Albin est la première drama queen française, grâce à Michel Serrault qui maximise son potentiel de féminité, par tout son corps jusqu’à sa voix qu’il perche au plus haut. Albin n’est jamais hystérique, c’est un personnage qui refuse toute remise en cause de son existence. Il comprend très rapidement que sa présence pose problème pour le mariage de Laurent. Mais lui aussi, par amour pour Laurent, va essayer de s’effacer, et de créer un personnage d’oncle. Mais c’est finalement dans son meilleur personnage qu’Albin va montrer tout son talent : c’est en fausse maman qu’Albin retrouve sa vraie place, sa place de parent, de parent différent.
Le boucher, Monsieur Languedoc, est interprété par Pierre Decazes. Il est là pour faire contraste, endosser le rôle et le cliché de l’homme hétéro. Son comportement brut est poussé jusqu’à la faille.
La cage aux Folles prend un contre-pied intéressant, en faisant des « gens normaux » la cause du trouble de la pièce.
Tout l’enjeu de la pièce consiste à hétéro-normer la famille de Laurent, pour plaire à la future belle-famille. Tous les clichés sur l’apparence des hommes, homos ou hétéros sont passés au crible des humoristes, qui vont les pousser à bout, comme pour les détruire. Jean Poiret a écrit une succession de scènes cultes, comme la très célèbre scène des biscottes.
Ce qui rend la pièce encore plus forte, les « victimes » de la bigoterie sont celles qui vont trouver une solution pour essayer de « sauver » la famille Dieulafoi de l’opprobre.
Michel Serrault construit plusieurs facettes d’Albin, le travesti, le parent, l’acteur, la meneuse de revue, l’oncle. La fille de l’acteur est décédée alors que la pièce connaît la gloire. Michel Serrault s’est accroché à Albin tous les soirs sans rien montrer de son désespoir.
En 1977, Jean-Jacques et Michel Roux reprennent les rôles principaux, et la pièce bat des records de représentation. Des militants dénoncent une récupération de « la folle » éclipsant des productions Queer invisibles, et pourtant, la Cage aux Folles a ouvert d’un grand coup de pied la porte aux sujets visiblement LGBT sur les planches des théâtres français.
Le sketch des antiquaires sur le Youtube de l’INA : https://www.youtube.com/watch?v=t4Q4nVDAb9I
Revoir 65mn de la pièce sur le site de l’INA : https://madelen.ina.fr/content/la-cage-aux-folles-68793
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