Dans le contexte assez tendu de l’après campagne présidentielle, le Journal du Dimanche [1] du 2 août 2012 nous informe que « Dominique Bertinotti a également dévoilé sa méthode pour mettre en place cette législation [sur le mariage pour tous ] : "Il y aura un temps d’écoute, mais ensuite il y aura la présentation d’une loi, qui sera présentée au Parlement et votée au Parlement. Il n’y aura pas de référendum", a-t-elle assuré avec fermeté ». Dans la foulée, le débat sur le mariage s’élargit à l’adoption.
Bien évidemment, les religieux entrent dans le débat public et politique : « L’Église mobilisée contre le mariage homo » nous rapporte Martin Feneau et Solène Cordier pour Europe 1 [2] par l’action du cardinal André Vingt-Trois qui « enjoint les évêques à mobiliser les fidèles le 15 août contre l’union gay », par une missive retranscrite par La Croix [3] et Rue 89 [4], dans laquelle est écrit « Pour les enfants et les jeunes ; que tous nous aidions chacun à découvrir son propre chemin pour progresser vers le bonheur ; qu’ils cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère ».
Pour être sûr que l’Église catholique est bien entrée dans le débat politique, Le Point [5] cite Mgr Bernard Podvin, le porte-parole de la Conférence des évêques de France, qui en appelle au « sens du bien commun » : « Il faut conscientiser l’opinion au-delà de la sphère pratiquante habituelle (…) sur les choix qui vont marquer le modèle familial ».
Le « lobby catholique » [6] tente tout simplement d’empêcher « l’instauration du mariage gay » pour Au Féminin [7], par cette prière du 15 août du cardinal Vingt-Trois qui devrait être lue dans toutes les églises, pour « capter un maximum de fidèles et notamment les moins pratiquants qui ne se rendent à l’Eglise que pour les moments forts du calendrier chrétien ».
Terrafemina [8] résume bien la situation : « Le cardinal appelle les fidèles à exprimer leur désaccord sur certains projets de société défendus par François Hollande, notamment la législation sur le mariage homosexuel et le débat sur l’euthanasie (…) aussi à l’homoparentalité » d’après Le Figaro [9], Métro [10] et Yagg [11]. Le Figaro explique de plus que la position de l’Église catholique par une occupation du terrain médiatique, cherche à contrer les groupes extrêmistes qui « prennent des positions radicales - dans les urnes et à la tribune publique - qui caricaturent notre communauté et dessert notre position », estime un prêtre du diocèse de Paris ». Yagg donne la parole à Élisabeth Saint-Guily de l’association gay chrétienne David & Jonathan : « Ceux/celles qui iront assister à la prière de leur paroisse par souci d’unité de la communauté [catholique, ndlr] recevront un coup de poignard quand ils/elles entendront ce texte. Mais les paroisses ne suivront peut-être pas toutes ce texte ». Libération [12] confirme que « Jusque-là, la croisade contre le mariage pour tous était surtout le fait des milieux catholiques conservateurs, très médiatisés. « Il est vrai que sur certains sujets, comme les œuvres culturelles jugées blasphématoires, les intégristes ont tout de suite réagi violemment. Du coup, l’Eglise ne pouvait plus prendre la parole, cela aurait créé des confusions », explique un responsable de l’évêché de Lyon »
L’archevêque de Lyon Philippe Barbarin, n’a d’autre argument que de citer une vieille sentence biblique « Dieu nous a créés homme et femme et quand l’homme quitte son père et sa mère, il s’attache à sa femme. Et tous deux deviennent une seule chair. » selon Europe 1 [13]. D’ailleurs l’homme semble prisonnier de ses textes sacrés dans Le Figaro [14] : « Oui, l’heure est grave. C’est une rupture de civilisation de vouloir dénaturer le mariage, qui est depuis toujours une réalité merveilleuse et fragile. Il suffit de voir le nombre de fois où l’on interroge Jésus à ce sujet dans l’Évangile ».
Les mêmes propos sont obtenus par le journal de France 2 le 15 août dans un entretien bâclé.
Sans surprise, « le Vatican soutient la prière des évêques français » nous disent le Midi Libre [15], le Figaro [16].
Force est de constater qu’une partie de la presse est plutôt bienveillante à l’égard de l’église catholique de France, comme La Dépêche [17] qui pense que « l’épiscopat français défend ses valeurs », et que « Monseigneur Vingt-Trois n’hésite pas à critiquer l’homoparentalité, sans véhémence et toujours à mots couverts », comme L’Indépendant [18] qui ne voit qu’un « affrontement entre les deux communautés », comme Ouest France [19] qui écrit que « L’Église est opposée au mariage homosexuel. Qui peut s’étonner de ce choix ? Tout le monde connaît son attitude en ce domaine depuis toujours, même si d’ailleurs elle a su évoluer. En effet, l’Église catholique condamne l’homophobie, c’est-à-dire le mépris ou la persécution des homosexuels, tout en refusant d’accepter ces pratiques qu’elle condamne, mais sans condamner les personnes concernées », comme dans la rubrique « Ça se passe cette semaine » de La Voix du Nord [20] dans laquelle on peut lire un curé « l’Église doit offrir du sens et des repères, ceux du Christ. On est à la fois chrétien et citoyen », comme Le Parisien [21] qui pense que « L’Eglise n’attaque pas de front le mariage homosexuel ».
Pire encore, c’est encore dans le Progrès [22] que M. Barbarin donne une leçon de politique « Notre désir est que la loi n’entre pas dans des domaines qui dépassent sa compétence. Un Parlement est là pour trouver du travail à tout le monde, (...) pour s’occuper de la sécurité, de la santé ou de la paix. Mais un Parlement, ce n’est pas Dieu le Père » sans aucune réaction éditoriale, repris par le Télépgramme [23]. Toujours dans Le Progrès [24], M. Barbarin s’enfonce dans son dogmatisme en tentant de répondre à la question « Des catholiques sont homosexuels – état qu’ils n’ont pas choisi. Que leur dites- vous s’ils souffrent de cette prière du 15 août ? » par « Je leur dis ce que je dis à tous : dans nos vies, l’amour et la souffrance se mélangent toujours. Mais nous savons que l’amour peut être victorieux. A l’intérieur de l’Eglise, beaucoup d’homosexuels ont laissé un héritage extraordinaire, de Michel-Ange à Max Jacob... Les homosexuels sont ce qu’ils sont et ils essaient comme moi d’être fidèles au Christ et de servir leurs frères. »
C’est en lisant Atlantico [25] dans lequel Éric Morain justifie la position de l’Église par une pratique « multiséculaire » de « 20 siècles », de ses« fidèles », victimes de « censeurs de prière et autres lanceurs d’anathèmes républicains », que j’en viens à me demander, comment ne pas avoir confiance en tous ces prélats qui nous donneraient des leçons sur la famille traditionnelle alors qu’ils vénèrent une vierge enceinte, dont le donneur anonyme aurait suppléé son mari Joseph pour lui donner un premier fils ?
Et l’évêque Bernard Housset en rajoute une couche dans le journal d’iTélé : « Il est nécessaire que l’Église, qui a 2000 ans d’expérience, puisse montrer qu’une famille est constituée d’un homme et d’une femme, d’un père et d’une mère ».

Pourtant c’est bien La Croix [26] qui fait part d’un communiqué de Pascal-Éric Lalmy, secrétaire national du PRG chargé de la laïcité, qui affirme « comprendre l’initiative de l’Église comme "une prière nationale unique pour mobiliser les opposants à la législation sur le mariage homosexuel". "Une nouvelle fois, on ne peut que constater que les religions ne renoncent jamais à vouloir imposer leurs dogmes et leurs croyances à la société civile en général et au pouvoir politique en particulier (…) l’Église n’a aucune légitimité démocratique pour s’immiscer dans le débat politique en France" » .
Le Collectif Contre l’Homophobie s’exprime pour l’AFP [27] qui réagit à cette prière, un texte « écrit dans le plus pur style sibyllin que l’Eglise catholique manie avec brio ».
C’est le JDD [28] qui rappelle que malgré le loi de 1905, « Depuis trente ans, la communauté catholique prend position dans les débats publics, quitte à se confronter, à plusieurs reprises, aux lois de la République ».
Il faut se tourner vers Slate [29] pour prendre le recul de se rappeler que le mariage existe depuis l’antiquité, « ça n’a été longtemps qu’une affaire d’héritages et de gros sous, pas du tout de sacré », « le mariage est l’institution qui admet la reproduction biologique mais surtout une reproduction sociale. Il permet d’avoir un héritier légitime et de lui transmettre son patrimoine. Si l’on se réfère à l’étymologie latine, c’est d’ailleurs l’institution qui permet à la femme de devenir mère. Cette vision perdure dans l’inconscient collectif ». D’ailleurs, « il ne faut plus dire mariage gay mais mariage pour tous » [30].
Libération [31] note très justement que « Derrière la question de l’autorisation du mariage pour tous, se pose celle de l’adoption d’enfants par un couple homosexuel. Question particulièrement redoutée par l’Eglise. » Il faut lire le JDD [32] qui interroge Claude Besson, ancien moine cistercien : « Je trouve que ce sont des phrases qui stigmatisent encore une fois l’homosexualité et l’amour des couples. Comme si tous les couples homosexuels prenaient les enfants pour des objets. C’est quand même grave de dire cela (…) Au delà du mariage homosexuel et de l’homoparentalité, il y a une non-acceptation de l’homosexualité en tant que telle. »
Puis, « le porte-parole de la Conférence des évêques de France tente de calmer la polémique entourant la prière du 15 août » en affirmant dans Le Point [33] que « La prière du 15 août est d’abord consacrée aux victimes de la crise sociale ».
En titrant « Une prière du 15 août très politique en France », RFI [34] pointe que « le cardinal André Vingt-Trois, dans le texte adressé à tous les diocèses, apostrophe directement les "nouveaux élus" du pays. ».
D’ailleurs, le langage de l’Église catholique est tout à la fois mielleux et malsain. D’abord, la charité chrétienne s’exprime en des termes presque consolateurs : « Le côté provocateur et bling-bling des gaypride ou autres marches des fiertés a bien du mal à masquer les malaises liés à l’homosexualité. Malaise, car on ne peut plus utiliser la définition qui prévalait jusqu’à ce qu’on ne veuille plus l’entendre : « Trouble psychologique de l’identité sexuelle. » Trouble, malaise, blessure, angoisse... autant de manifestations de la souffrance, qui demande que l’on s’approche avec délicatesse de celui qui y est plongé. », et puis très vite suit une sorte de diabolisation en ces termes : « Officialiser ce désordre intérieur, comme en permettant cette mesure symbolique d’un mariage homosexuel par exemple, c’est fatalement peser sur la conception de la famille, vouloir la redéfinir en fonction des désirs individuels et en définitive nourrir le désordre extérieur actuel, ce dont la société se passerait bien », les propres mots du père Gitton pour Chrétienté [35]. L’article nous rappelle les mots du Cardinal Ratzinger qui écrivait à ses évêques en 1986 : « L’Eglise maintient fermement sa position claire, qui ne peut être modifiée sous la pression de la législation civile ou de la mode du moment. (...) Elle est consciente que l’opinion selon laquelle l’homosexualité serait équivalente à l’expression sexuelle de l’amour conjugal ou aussi acceptable qu’elle, a un impact direct sur la conception que la société a de la nature et des droits de la famille, et met ceux-ci sérieusement en danger ».
Alors qu’en pensent les élus ?
Les réactions politiques à Droite sont elle aussi peu critiques. Nadine Morano s’exprime dans RTL [36] « je dirais que l’église est dans son rôle lorsqu’elle défend des valeurs, et notamment celles du mariage. En ce qui me concerne, et notamment à ce 15 août, qui est la fête de la Vierge Marie, je pense que, la Vierge Marie, à laquelle je suis très attachée, ne rejette aucun de ses enfants. Voilà. Et donc, je trouve, je ne m’attacherai pas à cette consigne à titre personnel », reprise dans Le Nouvel Obs [37], l’Express [38], le JDD [39], avant de changer d’avis l’après-midi même sur Twitter [40].
A Gauche, « Jean-Luc Romero, président de l’association Elus locaux contre le sida, se dit choqué lundi par l’appel du président des évêques de France à mobiliser les fidèles le 15 août contre le mariage des homosexuels promis par François Hollande » dans 20 minutes [41].
Fort heureusement, Camille Caldini de France Info [42] nous rapporte que des « prêtres ont refusé de lire la prière "pour la France" et contre le mariage homosexuel que le cardinal André Vingt-Trois a envoyé à tous les évêques. (…) Les paroissiens semblent en tout cas se ranger à l’avis de leur prêtre, pour qui "il n’y a pas de prédication à faire", ni sur le mariage, ni sur l’adoption. Il regrette que "la prière envoyée aux chrétiens (soit) devenue un tract pour les citoyens" et craint en outre que la position de l’Eglise ne soit associée aux idées du Front national. »
Du côté des associations LGBT, ActUp « pastiche dans une vidéo très crue le texte proposé par le cardinal André Vingt-Trois » nous informe Libération [43], car « même si la prière de l’épiscopat est polie, elle reste dans des sous-entendus qui légitiment complètement la campagne homophobe de Civitas et des Lefebvristes ». Dans l’Express [44] c’est Nicolas Gougain, porte-parole de l’Inter-LGBT, « parler des familles, insister sur le fait qu’elles reposent sur un père et une mère (...) on sait très bien que la prière fait allusion" au mariage homosexuel. »
Davis Sanguinetti, président de l’association David et Johnathan, s’explique sur iTélé « Nous souhaiterions que ce débat ait lieu dans un climat constructif, et peut-être que ce genre de prière risque d’attiser encore un peu plus les peurs, les craintes ».

Le Parisien [45] publie que 66,9% de ses internautes pensent que l’église ne doit pas intervenir dans le débat politique.


