En juin 2011, Christine Boutin a un entretien sur Europe 1 [1] au cours duquel elle annonce qu’il « est impensable que ce qui ne représente qu’une option philosophique parmi tant d’autres soit présenté à des adolescents comme une explication scientifique : cela les incite à adhérer à une vision de l’homme et de sa sexualité qui non seulement est profondément contestable, mais qu’il ne relève pas du rôle de l’Education nationale d’inculquer ». La Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques (CNAFC) [2] va même plus loin, jusqu’à un amalgame avec l’avortement, ce qui constituerait « un panorama de la sexualité morbide et mortifère ».
Dans La Vie [3] du 3 juin 2011, Julie Gonnet nous interroge : « Peut-on distinguer identité et orientation sexuelle ? », dans le sens de « Faut-il s’inquiéter de l’orientation prise par les nouveaux manuels de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) des classes de première L et ES ? », pour ne pas demander mais qui est contre l’enseignement de la théorie du genre ? La réponse vient dès le début de l’article : « L’enseignement et les associations catholiques » avec notamment Christine Boutin, « présidente du Parti chrétien démocrate dénonce l’introduction de la théorie du genre, une "idéologie qui consiste ni plus ni moins à nier la réalité : l’altérité sexuelle de l’homme et de la femme" ». Cette position qui consiste à accuser de subversion toute évolution contradictoire aux « croyances des familles », en dénigrant les sciences humaines, qui présenteraient « comme une explication scientifique ce qui relève d’un parti-pris idéologique ». Les débats auront lieu dans les classes.
Agnès Girard dans Libération [4] attaque de front le débat qui va débuter en titrant « Le diable est-il homosexuel ? ». Dans son blog, Agnès Girard annonce la nouveauté des cours de première S : « la dualité féminin/masculin, abordée sous l’angle de son ontogenèse ». Et elle n’oublie pas d’épingler les détracteurs de la réforme, notamment la Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques (CNAFC), en ces termes : « Il y a apparemment des personnes qui pensent encore que l’homosexualité est une maladie. Pour ces personnes, l’idée qu’on puisse laisser les petits garçons jouer avec des poupées est également très condamnable. “Diabolique”, même, pour reprendre leur terme ». La CNAFC « fait circuler une pétition » dont les arguments paranoïaques sont déjà connus, ils visent « la promotion de l’homosexualité » qui chercherait à « dissoudre la famille traditionnelle ». Agnès Girard est allée encore plus loin en débusquant sur l’internet les opposants à cet enseignement, « une idéologie fabriquée aux États-Unis » ou de l’homosexualité en tant que telle puisque ce serait une « maladie contagieuse ».
La Vie [5] reprend le sujet avec Dominique Fonlupt et Julie Gonnet pour l’approfondir, le 7 juin 2011. L’objectif du nouveau chapitre de SVT « Devenir homme ou femme », qui est donné aux professeurs, est « de saisir l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée ». Il s’agirait de « donner aux enseignants et aux élèves des outils théoriques pour éviter la stigmatisation de l’homosexualité qui est une des premières causes de suicide chez les adolescents ». À partir de cette directive, jusqu’où les enseignants et les éditeurs peuvent-ils aller avec les lycéens ? D’après La Vie, si les manuels partent de la théorie du genre sans la nommer, des « outils de réflexion » sont proposés aux enseignants. L’un d’eux confie « Je ne connais rien aux théories du genre et je me contenterai d’indiquer qu’il y a un débat. Quant à l’homosexualité, c’est si délicat que je préfère déléguer le sujet aux associations extérieures, formées pour répondre aux interrogations des élèves ».
Un éditeur se défend « on nous demande d’évoquer l’influence du contexte sur le comportement sexuel. Il n’y a là rien de choquant » dans Le Figaro du 1er juin 2011 [6]. Il s’appuie sur des études dont des extraits comme « À Hambourg, en 1970, dans les années de la révolution sexuelle, 18% des adolescents avaient ainsi des activités homosexuelles alors qu’en 1990, avec le sida et les changements culturels, ils n’étaient plus que 2% », devraient être expliqués. Le ministère prévient d’ailleurs qu’il « ne s’agit pas de favoriser telle ou telle théorie sociologique particulière. S’il y a une extrapolation de certains manuels, ce n’est pas de la responsabilité du ministère. Les établissements et les professeurs sont libres dans leur choix d’ouvrages ». Les catholiques acceptent « d’ouvrir un débat avec les lycéens sur cette question, qui ne concerne pas que les enseignants de SVT ».
C’est Quentin Girard qui relance dans Libération [7], le 8 août 2011, le sujet de la rentrée : « Début septembre, les élèves de Première ES et L auront le plaisir de découvrir un nouveau point de programme : la question du genre et de l’orientation sexuelle, dans un chapitre intitulé "Devenir homme ou femme" ». Il tente même d’aller plus loin en donnant une définition de l’orientation sexuelle : « si l’on naît homme ou femme, l’orientation sexuelle des individus peut varier au cours de la vie, et que si la majorité des personnes sont héterosexuelles, une partie de la population est homosexuelle ou bi ».
S’agit-il d’une bonne nouvelle ? Pas pour tout le monde, Libé nous explique que les réactions négatives sont nombreuses de la part de « l’enseignement catholique, des associations familiales », dont le discours est accusatoire : « orienter les jeunes vers des expériences sexuelles diverses, considérant que le sexe social est plus important que le sexe biologique ».
Mais que dit-on dans les manuels de science de la vie et de la terre ? Libération nous donne des exemples, dans les manuels de Bordas on lit que « chacun apprend à devenir homme ou femme selon son environnement, car on ne s’occupe pas d’un petit garçon comme d’une petite fille, on ne les habille pas de la même façon, on ne leur donne pas les mêmes jouets ». Belin publie « Il existe un autre aspect encore plus personnel de la sexualité : c’est l’orientation sexuelle. Je peux être un homme et être attiré par les femmes. Mais je peux aussi me sentir 100% viril et être attiré par les hommes ».
Après ces trois articles intéressants, il faut attendre la rentrée pour que le débat reprenne dans les médias, par une dépêche d’Hélène Favier pour l’AFP reprise sur Europe 1 [8] : « 80 députés s’attaquent à la théorie du genre ». En effet, 80 députés de la « Droite populaire et de l’UMP » réclament le retrait du nouveau chapitre de SVT. « Selon cette théorie, les personnes ne sont plus définies comme hommes et femmes mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités : homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels », l’argument montre à quel point la pédagogie est nécessaire aussi pour les adultes.
Pour Le Monde via l’AFP [9] après avoir reculé à propos du Baiser de la lune, Luc Chatel le ministre de l’Éducation recule encore : « Des députés UMP contestent la notion d’"identité sexuelle" expliquée par certains manuels scolaires ». Mais, plus intéressant, l’article donne quelques noms : « Christian Vanneste, Lionnel Luca, Jacques Myard, Bernard Debré, Éric Raoult et Hervé Mariton », dont certains « témoignent d’une véritable passion pour le thème de l’homosexualité ».
La dépêche AFP ricoche sur Libération [10], et il faut attendre mi-septembre pour que le nombre des 80 députés en cause passe à 113 [11], avec notamment « François Zocchetto, le sénateur UMP de l’Oise et rapporteur de la commission des Finances du Sénat, Philippe Marini, la présidente centriste de la commission des Affaires sociales, Muguette Dini et l’ancien ministre, Charles Pasqua ».
Entre-temps, France Soir [12] a osé écrire « L’enseignement de l’homosexualité ne fait pas l’unanimité », par maladresse certainement.
Il faut lire E-llico [13] avec la même source AFP pour savoir ce qui se trame en coulisse : « les députés PS ont aussi protesté contre une initiative consistant à transférer à l’Assemblée nationale une polémique dérisoire sur la question du genre, à des fins purement politiciennes et sous la pression des députés UMP de la Droite populaire. Refusant cette manipulation et l’utilisation de l’institution parlementaire d’une manière aussi partisane, ils ont souligné qu’ils ne participeraient pas à ce groupe de travail ».

